Nous fêtons cette année le centenaire du surréalisme, ou plus précisément du Manifeste du surréalisme d'André Breton. Sa date de naissance varie selon les sources. Georges Sebbag, qui a établi - chez Jean-Michel Place éditeur, 2021 - l'édition des Dix Cahiers surréalistes (avril 1924), suggère, non sans humour, le millénaire du surréalisme. Confiés à dix membres du groupe surréaliste, qui se sont livrés au jeu de l'écriture automatique et de collages de mots, ces Cahiers témoignent de la liberté, à grande échelle, rendue à la poésie. Cette liberté de poétiser le monde, en sortant des sentiers battus pour arpenter des sens et des sons nouveaux, bien au-delà des procédés d'écriture, sera et reste la marque vivante du surréalisme, comme l'arrivée d'un immense bonheur. Tel est aussi le titre de mon poème qui s'invite à la fête, illustré par un tableau d'Yves Milet-Desfougères, où je vois, me semble-t-il, la profonde et mystérieuse nature des liens qui nous unissent dans cette aventure.
L’ARRIVÉE DU BONHEUR
Des lois d’assujettissement font des nœuds dans les cheveux
du porteur d’eau qui glisse sur un roulement à billes
Ses dents remplaceront bientôt des armes dangereuses
Et ses yeux cèderont au charme de la jeune fille prévenue
d’affronter avec lui l’obscurité d’un cap de bonne espérance
Aussi glisse-t-elle seulement ses doigts sur ses chevilles
sifflant au loin les nuages qui lui tendent des pelles de nacre
Elle fredonne dans cette cueillette des airs de crécelle
Peut-être qu’elle émet des sons en souvenir d’un aïeul
boucher dans un village réputé pour ses couteaux d’acier
Et les voilà partis à l’aventure dans une nappe de brouillard
qui les protège d’étincelles à la lueur phosphorescente
des totems censés vaincre avec une facilité étonnante
les valeureux envahisseurs parés de nageoires de thons
Leur peur à présent les aide à franchir des barricades
de boîtes de sardines dans la forêt livrée aux écailles
des rêves miraculeux qu’ils n’ont pas encore repêchés
avec leurs brouettes tirées par des éléphants sur des routes
cernées de carapaces de tortues reines des océans
Là c’était sûr qu’il leur faudrait attendre et apprendre
À faire sécher au soleil sur un long fil confidentiel
Leur bonheur qui pourtant ne faisait qu’apparaître.
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