Les ailes salies, chercher asile. Mot valise, l'asile rivalise, commence en continent et finit en île. Est-ce une lubie de regarder ainsi les mots jouer leur comédie ? Le poème Asile répond modestement à cette question. Ce n'est pas un poème au sens habituel, en ce qu'il ose conter une histoire. Extrait du recueil Or voir publié hier sur ce site internet, il figure parmi près de deux cents poèmes semblables, écrits comme sous la dictée d'une voix intérieure, celle d'un autre moi-même qui prenait place dans mon être à cette période de ma vie, avec la naissance d'un second enfant. Tout en quête d'un eldorado fictif, je disais au revoir à ma jeunesse en inventant d'autres vies qui n'existent pas. La poésie à ce point tient lieu d'asile également.
L’ASILE
Sur son plus beau costume, Jean Leprêtre avait revêtu son manteau gris. Après en avoir recherché en vain la ceinture à boucle, il avait attendu l’autocar. Puis il avait pris l’autorail jusqu’à la dernière gare avant le terminus. C’était une halte destinée aux visiteurs de l’hôpital.
Dans une valise rouge, il emportait un nécessaire de toilette, des habits de rechange et deux livres. Quand il se présenta à l’hôpital qui prolongeait la ligne de chemin de fer, le service des visites était normalement terminé. Aussi le gardien lui demanda-t-il plutôt sèchement de revenir demain. Mais Jean Leprêtre lui expliqua d’une voix calme et presque désolée qu’il souhaitait être interné sur le champ.
Ensuite une infirmière très jolie et un jeune médecin à l’accent étranger recueillirent les confidences suivantes. Jean Leprêtre aurait soixante-sept ans dans quelques jours. Au même âge exactement, son père, son grand-père et son arrière-grand-père avaient eu une crise de folie. Tous les trois avaient terminé leur vie dans ce même hôpital.
Alors qu’un train et un coup de sifflet recouvrirent ses paroles, Jean Leprêtre n’hésita pas à répéter que son tour était maintenant venu.
Le médecin ni l’infirmière, qui n’étaient pas encore amants, ne surent alors que Jean Leprêtre parlait pour la dernière fois.

Il affole l'asile hélas.
Il est las, seul sur sur cette ile.
Il l'enlace avec delice et se delasse.
Sûr qu'il hele Lise avant qu'il ne s'enlise.
Au fil des jours file l'amour.