- Maurice Coton
Bon port
Au Guilvinec comme à Léchiagat, d'une rive à l'autre du port bigouden, ont été disposées des silhouettes inanimées, souvent de marins d'hier en costumes colorés, dont des notices explicatives racontent l'histoire. Leurs auteurs n'oublient jamais de vanter les mérites des pêcheurs, exposés à des conditions de navigation et de travail qui défient l'entendement. D'ici et Bon port, les deux poèmes choisis pour engager un dialogue impromptu avec les auteurs des silhouettes, sinon avec les silhouettes elles-mêmes, ont délibérément délaissé les péripéties rencontrées par les "gens de mer". Ces poèmes, de facture différente, tentent plutôt de pénétrer la chair des sentiments. Des accords et des éblouissements ont fait disparaître l'angoisse originelle, remplacée par une infime douceur et ironie. S'il fallait donner une couleur, sans hésiter je la prendrais dans la galerie de la mer : le scintillement des écailles, au moment de relever le filet sur le pont.
D’ICI
Je suis d’ici
Au pied des mâts
Maigres constitutions
De ce pays d’ici
Aux charpentes d’éboulis
Toujours éblouies
D’ici d’averses fines
Au creuset du jour
Aux plis des langues
Dames et d’hommes rudes
Brouilleurs de pistes
D’ici rattrapé et retenu
Rêves trous au ciel
Rêves d’ailleurs d’ici
D’assez douce compagnie
De distraite condition
D’ici même docile.
BON PORT
Depuis que j’ai quitté le port
Vous allez croire que je dors
Ou que je suis parti dehors
Voiles au vent vivre ma mort
Certaines racontent à tort
Que je fais toujours des accords
Pour jeter l’ancre vers le nord
Et que c’était moi le plus fort
D’autres diront avec remords
Mes paroles valaient de l’or
Et je ne sais plus quoi encor
Qui faisait de moi un ténor
Seul sans mon esprit ni mon corps
Je suis passé par-dessus bord
De l’autre côté du décor
Où je ne bouge ni ne mords
