Au Guilvinec comme à Léchiagat, d'une rive à l'autre du port bigouden, ont été disposées des silhouettes inanimées, souvent de marins d'hier en costumes colorés, dont des notices explicatives racontent l'histoire. Leurs auteurs n'oublient jamais de vanter les mérites des pêcheurs, exposés à des conditions de navigation et de travail qui défient l'entendement. D'ici et Mauvais temps, les deux poèmes choisis pour engager un dialogue impromptu avec les auteurs des silhouettes, sinon avec les silhouettes elles-mêmes, ont délibérément délaissé les péripéties rencontrées par les gens de mer. Ces poèmes, de facture différente, tentent plutôt de pénétrer la chair des sentiments. Des accords et des éblouissements ont fait disparaître l'angoisse originelle, remplacée par une infime douceur et ironie. S'il fallait donner une couleur, sans hésiter je la prendrais dans la galerie de la mer : le scintillement des écailles, au moment de relever le filet sur le pont, avant de retrouver le chemin du stade municipal.
D’ICI
Je suis d’ici
Au pied des mâts
Maigres constitutions
De ce pays d’ici
Aux charpentes d’éboulis
Toujours éblouies
D’ici d’averses fines
Au creuset du jour
Aux plis des langues
Dames et d’hommes rudes
Brouilleurs de pistes
D’ici rattrapé et retenu
Rêves trous au ciel
Rêves d’ailleurs d’ici
D’assez douce compagnie
De distraite condition
D’ici même docile.
MAUVAIS TEMPS
Pluie fine du matin
Signée par l’idée que tu te fais
De la mer voisine
Servie par un ciel tourmenté
De nuages gorgés d’averses
Couronnés d’un turban noir
Toute ressemblance fortuite
Avec celle de la baleine
Crachant ses harpons dans le vide
Qui n’en tient plus de recueillir
Des messages sarcastiques
D’un avis de grand vent
Pour un goéland affolé
Déroutant le facteur à vélo
En bordure du stade municipal
Mais tu n’as pas besoin de l’entendre
Se plaindre encore du mauvais temps
Responsable de son emphysème
Tu es toujours d’humeur massacrante
Quand tu sors comme ça
Un paquet de chips dans la main
Pour tenter de refaire à l’abri
Le coup tordu de la pyramide
il a décidé de prendre sa planche et de s'y rendre en glissant
Qu'importe sa destination finale, il surfe sur la vague élégamment
Les bras tenant fièrement la barre et le regard tourné vers le soleil
Parfois il ferme les yeux et navigue presqu'en tombant de sommeil
Il sait que rien ne l'arrêtera parce qu'il le fait toujours sans effort
Il garde l'intime espoir qu'il atteindra son but et arrivera enfin à bon port...