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  • Photo du rédacteurMaurice Coton

L'incendie l'autre

Certains poèmes vivent deux vies, sans doute parce qu'ils n'auraient pas vécu sans cela. Deux vies, une première et une seconde, la seconde finalement restant la seule. Est-ce rareté ? L'on imagine que beaucoup d'œuvres se retrempent ainsi dans le passage du temps, où l'artiste remodèle un ensemble qui ne lui appartient plus. Il ne me semble pas qu'il s'agisse d'une réappropriation. Toujours la question du jeu évite de se réinvestir dans le sérieux de la tâche créatrice. Que l'on se dise alors que ce type de poème échappe une fois encore à son géniteur, lui-même dépourvu d'explication. Le poème L'incendie l'autre brouille en outre les pistes, avec pour point d'orgue, comme les tours en arrière-plan de la photo d'illustration, une métaphore amoureuse. Un feu en cache un autre.



L’INCENDIE L’AUTRE


Personne ne le voit entrer,

Ni ne reconnaît son portrait.

On imagine un courant d’air

Qui ouvre portes ou cratères,

Mais on ne pense pas au feu.

Certes il y a, à un moment,

Sa voix étouffée, indistincte.

On ne l’entend, ni ne l’aiguille,

Elle file telle une anguille

Au bout d’un horizon dément.


Tant il semble sûr de ses cendres,

Le feu couve, rampe, trop sage

Se fraie, sur des tapis dorés,

Un chemin pour tout dévorer

Sans rien laisser sur son passage.


Il disparaît et, comme un lierre,

Se rétracte dans des rognures,

Se glisse dans des encoignures,

Musarde, presque incognito,

Sur quelque chaise hospitalière.


Un esprit avisé au moins

Croit voir un fantôme s’éteindre,

Ou le voir, les bras croisés, feindre

Qu’il ne s’en ira pas plus loin,

Qu’il ne montera pas plus haut.


Libéré des proies inflammables,

Le feu bondit sur les obstacles,

Enlace chaque forme aimable

Pour mieux la rompre. Quel spectacle

D’un chant à gorge déployée !


Seule une mère délicate

Ou un marin dans la tempête

Jouent le jeu que le feu bat bien,

Rien qu’avec la même carte.

Bientôt il n’y aura plus rien.


Alors, il efface des traces,

Torturant couleurs, métaux lourds,

Plastiques, à coups de bruits sourds,

Broyant les plus volumineux,

Jusqu’à désosser leurs carcasses.


Il atteint ainsi l’âge d’homme,

Où l’on ne sent jamais sa force

Pour s’insinuer sous l’écorce,

Profiter des bêtes de somme,

Rien que pour son propre plaisir.


Torrent dépourvu de ses berges,

Espèce de bloc sans cervelle

Qu’adulte intransigeant révèle,

Le feu brûle toute l’auberge,

La calcine à l’épuisement.


Une opaque fumée se lève,

Elle annonce un immense drame,

Dont l’ampleur, jusqu’au crépuscule,

S’étendra en feu majuscule,

Où des voix crient que le ciel crame.


Le feu mène à la mort qui rôde.

D’aucuns ont perdu connaissance,

Ne recouvreront aucun sens.

Qui tue, la chaleur ou les flammes ?

Est-ce la peur, ou pire fraude ?


Au galop du soleil, le feu,

Toujours lui, redouble de force.

Il a pris l’allure insolente

De torches, qui bombent le torse,

Et touchent au but peu à peu.


A la fin c’est l’écroulement.

Quelques rescapés lamentables

Pensent lui devoir leur salut.

Ils s’en sortent si pâlement

Qu’ils n’en parleront jamais plus.


Et quand le feu retourne en terre

Par où d’ultimes braises passent,

Un astre jaillit de l’espace :

L’oiseau aux ailes qui retiennent

Mes lèvres en feu vers les tiennes.





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