Poème en prose, La Parade raconte un couple exceptionnel qui n'a jamais connu de dispute, du moins jusqu'à ce jour. Je l'ai intitulé ainsi pour le double sens du mot parade. Quelle différence entre la parade du paon et celle de l'escrimeur, entre l'exhibition et la riposte ! Remarquons que vivre à deux induit l'une et l'autre, sinon c'est la rupture et la guerre, terrible, affreuse, inutile. Aussi, depuis qu'elle existe, la poésie imagine-t-elle un monde qui ne vit que dans la parade, celle des mots ou d'images d'abord, mais encore, au loin, plus tard, ailleurs, là-bas, là-bas, celle d'armées d'êtres humains qui, bras dessus bras dessous, ou le bras sur l'épaule, tout de blanc ou de noir vêtus, marchent en paix amoureusement comme Jeanne et Célestin.
LA PARADE
Quand Jeanne et Célestin s’étaient rencontrés, ils avaient formé aux yeux de leurs familles un harmonieux assortiment de chances et de charmes. Sans doute le hasard n’avait-il pas été la seule cause de leur union, car aussitôt que leur amour s’était déclaré, il n’avait jamais plus cessé de croître. On avait parlé de prodige.
La réalité était différente. Sans le savoir, Jeanne et Célestin avaient trouvé le remède universel du bonheur. Mais personne ne devait en connaître le secret. Ils pensaient que leur merveilleuse sérénité tenait tout entière sur cette seule condition.
Voici en quelques mots la façon dont vivait cet étonnant couple. Sa règle de conduite était de mettre un terme à son union dès la première dispute. En conséquence, Jeanne et Célestin passaient le meilleur de leur temps à prévenir les moindres risques de brouille.
De conflits étouffés en délibérations inutiles, ils maintenaient alors un semblant d’équilibre naturel. Ils s’étaient même inventé un langage propre pour s’abriter définitivement des dangers et des maux qui accablent les humains.
Rien ne dit maintenant que Jeanne et Célestin se comportaient toujours ainsi. On a même supposé qu’ils avaient fini par divulguer cette recette pour mieux protéger encore leur amour.
