Le poème La Rose des Vents avait d'abord été intitulé Les adieux. Qu'ajouter d'autre ? Il arrive qu'un poème emploie des verbes au futur pour conjurer un sort déjà à moitié consommé. Il arrive qu'un lieu-dit porte un nom prédestiné, indicateur de directions. Dans ces cas, la poésie porte une trousse de thérapeute. S'il lui prend d'oublier cette fonction, de passer outre, elle sera rattrapée par certaines tournures de pensées. Ainsi la mort y fait une apparition, comme un signal allumé sur une trousse de voyage. C'est le type même du poème ambulance, qui brûle les feux de la pleine conscience de soi. Arrivé devant la pancarte H de l'hôpital, il marque une halte. Halte poésie.
LA ROSE DES VENTS
Nous irons à la mer
Nous descendrons à la Rose des Vents
Et par l’avenue bordée de tilleuls qui mène à la plage
Mes yeux se reflèteront dans tes yeux
J’oublierai qui je suis
Si du moins je prétendais l’être
Je laisserai ma tête pencher vers la tienne
Sûre d’aboutir à des rêves illustres
Puis sans rien dévoiler de nos pensées communes
Nous décrocherons au ciel le téléphone des nuages
Qui ne sonnera plus que pour annoncer le passage des oiseaux
Et quand nous arriverons à hauteur d’une épicerie
Tenue par un ancien matelot chauve
Juste avant la fontaine de bronze
Où pose à jamais une jolie femme pour d’insoucieux riverains
Nous reparlerons une nouvelle fois de choses très lointaines
Telles que la mort et les raisons de s’en inquiéter
La mort avec ses pages toutes cornées
Sous des couvertures pleines de fautes
La mort comme un garage où l’on vérifie l’état des moteurs
A grands coups d’accélérateurs
Tu passeras d’une marche mesurée devant le garage
Parce que tu n’as pas ton pareil pour observer
Les empreintes des autres et leurs appels de détresse
Et t’effacer ainsi que l’ombre de midi
Dans des chuchotements inaudibles
Je suivrai tes conseils même si la promenade s’arrêtait ici
S’il nous fallait revenir en arrière à la Rose des Vents
Même si comme tu t’imagines je manquerai à ma tâche
Pour avoir relâché l’attention certains jours
Jours de plein désarroi
De vaine poursuite d’un idéal harassant
Quand on tourne en rond autour d’une vérité
Qu’on quitte d’autant moins des yeux qu’elle n’existe pas
Là nous nous rapprocherons de la plage
Animés d’une double persévérance pour l’art et sa moralité
Le hasard voudra que l’avenue soit alors coupée en deux
D’un côté réservée aux piétons encombrés de sacs à provisions
Recouverts de parasols ou palmes de plongée
Et de l’autre aux automobiles aux plaques d’immatriculation
De tous les horizons
Plus loin un parking géant les obligera
A suivre des flèches au sol
Et peut-être à faire des marches arrière
Pour gagner quelques hectomètres
Oui l’art et la moralité dans leur magistrale splendeur
Puisque nous sommes au monde
Pour mieux nous y conduire que nos prédécesseurs
Pour mieux nous corriger nous-mêmes des erreurs
Que nous leur attribuons trop souvent
En employant un terme différent tu me répèteras
Que c’est une longue pénitence
Mais comment oublier les frivolités et autres jeux de massacre
Qui ne forment jamais en réalité et ultime échéance
Que la même complainte
Non pas qu’il faille à tout prix se protéger
Refuser l’effort d’où qu’il vienne
Et faire des pirouettes signifiant qu’on accepte son sort
Car il faudrait aussi pour bien faire
Accepter le sort de ses semblables plus par résignation
Que par je ne sais quelle compassion charitable
Il est bon d’être tout près de la mer
Je taperai mon code secret à la banque du littoral
Pour tirer quelques devises au cas où
Au cas où par habitude on rejetterait le travail du temps et de l’âge
Sur les défaillances de la mémoire
Et par habitude aussi ou plutôt pour faire comme tout le monde
On dirait du mal de quelqu’un de célèbre sans savoir pourquoi
Ni comment l’indulgence ne l’a pas épargné
Toi l’indulgence même toujours en piste
Pour être l’étrangère de service
Pour nous tourner en dérision autant qu’on le mérite
Et de délectation en rougir
Toi l’intrépide toi l’insoumise la rebelle
Regardant le monde au pied d’une falaise de craie
Qui se dérobe dans la nuit à la moindre escalade
Toi qui as cultivé l’anémone de ton jardin secret
Au pas du patineur ou à toute autre allure
Semblable au mouvement des aiguilles sur le cadran des horloges
Je ne m’offusquerai de rien
J’accepterai que tu décrètes la suprématie finale de ta géométrie
De cette voix qui réveillerait un homme à moitié mort
La géométrie de la mer à perte de vue
Bien que l’œil n’arrête pas de cligner
A la recherche de quelque vague rédemptrice
Comble du besoin de parler innocemment
Comme si de rien n’était ni ne pouvait plus être
Par nuées des arrivants se joindront à nous
Qui étaient la source de leurs absences à eux-mêmes
Les tilleuls disparaîtront derrière nous dans une brume opaque
La vie scintillera de ce qu’il convient d’appeler une caresse
Dont le sommeil des justes est le pendant
Peut-être même la barre de fraction
Que nous franchirons ensemble
Voilà la mer et son cortège de conventions poético-sociales
Chacun fait son marketing comme il croit
De la mer à 0% de matières grasses
Jusqu’à la mer dans toute la gamme du maquillage
On ne nous aura rien épargné
Après coup je ne sache pas que nous méritions mieux
La chirurgie des sens sera une opération délicate à mener
Les gros bonnets de nos tristes arènes tomberont à leur tour
Projetés par une mer démontée et digne
Et parce que nous aurons encore besoin d’eux
Pour nous redonner du tonus
Pour poursuivre notre voyage éclair jusqu’à la fin
N’importe laquelle
Nous leur servirons une douzaine d’huîtres
Avec un vin blanc des coteaux
Un potage brûlant aux herbes des falaises
Puis selon qu’ils aient le mal de vivre
Ou le sentiment d’avoir touché au but
Nous les ensevelirons en boule
Sous les taillis d’un vieux manoir
Ainsi sera notre dernière sépulture
A cheval désormais sur tous les règlements
J’ignore lequel de nous deux
Précèdera ou rejoindra l’autre de ce côté des choses
Cela dépendra de la position des étoiles
De la soudaineté d’une quelconque mystification
De l’étroitesse du passage de nos désirs évanouis
De nos mains reliées par l’empirique attelage de l’amour
Nous planterons l’ancre de nos jours en mer
Qui en fera des galets pour ricocher sur l’eau
Ou du sable pour construire le château éphémère
Dont il ne subsistera bientôt
Que le souvenir d’une vieille douleur
De celles qu’on retrouve chez les antiquaires
Face au dilemme d’avoir ou non assez réfléchi sur terre
D’avoir osé comprendre sans forfanterie
Tes leçons sur l’envers du décor
Et de devoir dire que je n’en demandais pas tant
Voici qu’est immortelle cette quiétude
Par le mariage de la raison avec la mer
On pourrait y jurer ses mille dieux qu’on n’y changerait rien
Ni en partant de l’idée fausse que l’épouvante renaîtrait autre part
Et qu’il suffirait alors de recommencer sa vie
Pour justifier la fin par les moyens
Pour passer le chiffon sur l’écume des vagues
Et le temps d’un long baiser
Faire briller ses adieux au monde
A la Rose des Vents

Parfois, la vie sait être belle, comme la mer calme et le souffle frais du vent que l'on respire
Rien ne peut distraire, ni même arrêter, l'enfant léger et libre qui courre vers l'avenir
J'aime son élan heureux et innocent qui exprime sans retenue l'envie de vivre et de rire
Je lui conseille sagement de ne pas écouter la phrase plate de celui qui parle pour ne rien dire
Il doit continuer avec espoir et détermination, de parcourir le chemin du bonheur qui lentement s'étire
Pour délicatement, cueillir une pensée sauvage et s'envoler dans les limbes du vide qui l'aspire
Je vais clouer le bec à ceux qui débattent sans fin sur le destin, la mort et leurs dérisoires délires
Merci pour ce poème où souffle, d’après moi, quelque chose de nouveau (du moins dans ma mémoire de tes écrits)…
Ce poème de la Rose des Vents a une gravité et une profondeur singulières…
Un couple d’amoureux soudain voit surgir l’horizon de la disparition (qui partira en premier ?)… L’horizon vu du littoral n’a rien de littéral, il est symbolique avec une pointe tragique bien mise en velours bleu pour noyer le poisson-épée (l’espadon) !
Puisque nous mourrons pourquoi sommes-nous à la vie ? Vaste question… La réponse peut avoir un relent chrétien : pour y faire pénitence… Mais attention que cette vie de pénitences ne devienne pas un pénitencier (ni un bénitier ajouterais-je en songeant à Saint-Pol-Roux qui magnifiait…