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  • Photo du rédacteurMaurice Coton

La route des Indes

Dans les années 1970, chez beaucoup de garçons et filles de ma génération, la route des Indes tenait lieu d'une quête du Graal. Au moins deux de mes amis de l'époque ont tenté l'aventure. Je les ai perdus de vue. Je leur disais qu'avec la poésie j'avais trouvé ma route des Indes. Les voyages au long cours où elle m'entraînait me faisaient découvrir les paysages d'un langage qui me sauvait, dans tous les sens du mot. Qui pouvait alors me comprendre puisque ce sens m'échappait, tout en me rendant plus libre ? Le poème La route des Indes, écrit au moment où je passais mon bac, illustre bien l'état d'esprit qui était le mien. L'on y voit une attitude désinvolte, désabusée, ironique, opposée comme toujours, sous une forme de fausse confidence provocatrice. Quand je me retourne en arrière sur le chemin parcouru, force m'est de constater que ce poème annonçait subrepticement ma vie dans une réalité autre : "Ce n'est pas moi qui écris de ces choses-là". Mais d'où venait cette concierge dont je désirais la mauvaise langue, démiurge qui prédisait la "SNCF en chair et en os", où j'irais travailler onze ans plus tard, pour de bons et loyaux services ? Est-ce la poésie qui se confie à moi encore aujourd'hui ?

LA ROUTE DES INDES

Le 5 juin 1972


Il n'y a pas de charbon rose

Car il n'y a que des sots métiers

Moi je suis honnête

J'ai même de l'argent que je cache

La banque est ma grande amie

Oh si vous saviez

Comme je dors

Quand je n'ai pas de poches

Sous mon ventre

Dans mon pantalon de la BNP Et pourtant j'aime bien le violet

Tandis que moi je préfère les coins verts

D'accord là je suis le plus fort

Mon vieux !

Je passe sous la Samaritaine

Maison de neige

C'est pourquoi je n'ai pas ma pluie

Elle a fondu comme l'aviron

Qui frise en vol d'aigle

Qui n'arrête pas de râler

Mais le monde est en rut

En rut de ma famille

Quelle dynastie

Pas si caillée que cela

Ni vapeur ni chanoine ni service

Ni concierge

Mais grâce à elle

Mon vassal en revient

Je reçois sans arrêt deux lettres

L'une que j'ai vue lire

Par l'auditoire et le fils

L'autre que j'attends à la poste

Où je fais des avances aux postières

Aux malades aux timbres aux curieux

Et naissent des enfants

Je m'en lave les mains

Ce n'est pas moi qui écris de ces choses-là

Choses ou pas je marche aux "Oui"

Et Mesdames et Messieurs sauvez ma concierge

J'ai trop désiré sa mauvaise langue

Ou SNCF en chair et en os .


Romain Coucet




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