Voici trois poèmes qui remontent à ma découverte de la poésie en 1969, peut-être un peu avant. Extraits d'un petit fascicule quadrillé de vingt-et-une pages d'une écriture encore enfantine (voir photo), sans date, parsemées de quelques graves fautes d'orthographe, perdu dans une caisse de cahiers entassés, j'aurais été incapable de m'en reconnaître l'auteur. J'en ai lu quelques extraits tout étonné, déçu, embarrassé, sans parvenir à rien me remémorer. L'envie m'a pris de m'en séparer. D'où ce sauvetage in extremis. Quel intérêt ces poèmes gauches d'un adolescent qui découvre la vie ? Eh bien celui de l'apprentissage ! Nul ne le contestera. Mais il est un autre avantage que je ne mets jamais en avant. Celui de la poésie comme une médecine qui ne dit pas son nom, mais pousse le patient à sortir de lui-même pour mieux s'atteindre, par un remède millénaire, la vie, mille fois plus efficace que son meilleur vaccin. Au cas où je n'aurais pas le temps de temps de retranscrire tous mes anciens textes dans le site internet, permettez-moi de recopier ici les deux dernières phrases d'un autre cahier titré Réveils (novembre 69 - juin 71), que j'aurais aimé écrire ce matin, malgré la jeunesse du style, en écoutant le merle chanter : " Si j'écris des poèmes c'est simplement parce que j'aime cela, parce que je n'ai vraiment rien trouvé d'autre à faire qui me passionne, m'enchante. La poésie, c'est plus que ma passion, c'est mon seul moyen d'expression, ma révolte peut-être."
LA VIE
Ce soir j'ai beaucoup écrit
en pensant à la vie
que je menais partout
et j'ai pensé beaucoup
que ma vie était triste et morne.
Puis j'ai posé ma plume que j'orne
avec beaucoup de fantaisies
et j'ai regardé par la fenêtre la rue et ses bruits
C'était beau ces hommes et ces femmes
qui se bousculaient dans le tram.
C'était beau ces lumières de voitures
qui resplendissaient sur les murs
c'était beau cet ivrogne qui chantait
un vieil air populaire des marais.
C'était beau ces amoureux
qui s'embrassaient tous deux,
c'était beau de regarder
Paris en cette nuit de février.
J'ai fermé la fenêtre doucement.
La vie n'était pas si triste vraiment.
UN ENFANT PAS COMME LES AUTRES
Deux enfants dans un jardin
avec maman et son parfum
jouaient avec le sable et leurs pâtés
et le bonheur et la gaieté.
Un petit enfant sauvage et laid
arriva nonchalant et gai.
Madame est-ce que je pourrais ?...
Non mon mignon, va voir mémé.
Alors l'enfant courut très loin
Loin de la vie et des jardins
Alors le petit s'arrêta
Et le bon Dieu il questionna :
Dites-moi pourquoi où je vais
ils me repoussent d'un ton mauvais ?
Et Dieu sourd et muet resta.
Et de ça jamais ne parla.
POÈME INACHEVÉ
Verlaine, à quoi penses-tu là-haut ?
Et toi Baudelaire et toi Rimbaud ?
A rien, à tout, aux hommes,
à ceux qui pensent à vous
et toi à quoi penses-tu ? en somme
à moi et moi à toi, tous
deux on s'aime, on ne pense à personne
personne ne pense à nous tu sais.
C'est beaucoup mieux, on ne pense à personne
personne ne pense à nous tu sais
c'est mieux ainsi
je te le dis.
On va s'isoler tous les deux
loin d'eux, le plus loin qu'on peut,
seuls on sera bien,
c'est vrai ces liens.
Je crie des poèmes comme la peau aime le soleil au printemps, lorsque les fleurs surgissent après un hiver triste et froid.
Autrefois ce joli mois de mai de la jeunesse révoltée disait ce rêve : sous les pavés ...la plage, comme l'évidence d'un point sur le i d' irrévérence.
Aujourd'hui les rues sont désertes et le virus couronné se glisse avec malice dans les urnes pour élire les fantômes du passé décomposé.
Et demain, qui sait si nos mains de nouveau pourront se serrer et nos corps s'embrasser pour dire le bonheur d'être encore vivant.