D'où vient cette manie de parler de soi à la deuxième personne ? Peut-être pour mieux approcher l'étranger que nous sommes tous à nous-mêmes. Ou encore pour nous confondre avec notre semblable. Loin de moi le sentiment qu'il s'agit là d'un procédé ou d'une figure de style. Les deux réponses conviennent. Apollinaire a beaucoup œuvré dans ce sens. Souvenez-vous de son premier vers d'Alcools "A la fin tu es las de ce monde ancien", qui n'a jamais cessé d'ouvrir la porte à l'imagination. Qui dira la part de l'imagination dans la mémoire vivante ? Le poème Toujours second explore ce territoire où la matière de la réalité se dilue respectueusement dans celle de souvenirs improvisés plus vrais que nature.
TOUJOURS SECOND
Peut-être parce que tu étais le second de la famille
Peut-être aussi parce que tu prenais tout de la main gauche
Et faisais déjà le contraire des autres
Tu avais pris l’habitude de confondre certaines lettres
De changer les V contre les F
De prendre les C pour des G
Cela te causait beaucoup de torts
Mais parfois donnait des surprises
Ainsi un jour quand tu avais écrit
Fêtement au lieu de vêtement
Ou que tu avais mis ta maîtresse dans l’embarras
Dans les phrases La vie gomme la mort
Et il y a beaucoup de monde dans les filles
Tu y penses aujourd’hui avec nostalgie et regret
Et compares ces confusions à la fin de l’enfance
Quand à l’approche de la puberté
Poussent de vagues seins sur la poitrine des garçons
Que l’on prie de ne surtout pas s’inquiéter
De respecter d’abord la déesse Orthographe
Et de ne pas prendre comme tu le fais encore
Les lettres de l’alphabet pour une piqûre de BCG
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