Caravane, le tableau de Lauretta Barcaroli qui occupe un pan de mur de la grande pièce de la "Maison petite" du Guilvinec, rue Jean Jaurès, pourrait sans doute accompagner un bon nombre de mes poèmes. Il en réunit trois dans cette publication. La caravane de ces poèmes commence par Un destin d'exception, le sort dévolu à chacun selon l'idée et l'image de soi-même captées à un instant précis. Voici une vérité que j'ai gardée jusque-là. La poésie dit : "maintenant j'arrête tout". Tout s'arrête d'ailleurs aussitôt. Alors je ne décide plus rien des forces qui mettent en marche mon moulin-à-paroles. Ses ailes ou sa roue tournent les mots sur eux-mêmes jusqu'à ce qu'ils prennent leur chemin de liberté. Les embêtements suggérés n'échappent pas à cette disposition d'esprit. A la suite, le poème Paysage décrit le tableau qui se trouve devant soi. Son aspect immuable confère au destin d'exception de chacun l'inestimable valeur d'un présent impossible à donner, sinon tout à la fin du parcours. D'où l'adage Le plus tard est le mieux, le titre du troisième poème qui rappelle que les embûches et menaces de trahison ne cesseront jamais. Qu'importe les cubes tenaces à l'horizon ! Continuons de traverser l'eau vive du fleuve qui purifie.
UN DESTIN D’EXCEPTION
Nous avons tous un destin d’exception
Sentons notre avenir par l’appel des étoiles
Nos histoires ne sont pas qu’amoureuses
Maintenant nous sommes réunis avec nos passions
Nous ne nous envions pas
Et moins encore nous ne nous imitons
Même si nous le voulions
(Il faut bien dire qu’il nous arrive aussi
De ne pas désirer nous arrêter en chemin)
Nous ne saurions plus le faire
Etant peu doués pour ce genre de frissons
Et pour les calculs de probabilités
En ce moment nous avons quelques embêtements
Dérisoires empêchements qui expliquent nos remords
Nous pensons que tout passera
Cela nous fait même peur comme tout s’arrange
Non pas se remet en marche mais trouve un nouvel équilibre
La vie nous donne l’impression d’une crise de larmes
Elle avait cessé et elle reprend soudain
Ce sont des sanglots
Coquillages nous sifflant aux oreilles
Nos histoires sont amies de passage
Venues ici nous dire seulement adieu.
PAYSAGE
Singulier paysage tu ne changes pas
Ton apaisement ne me change pas
Tu changeras quand je ne le saurai pas
Quand loin d’ici j’aurai disparu
Tu sais des arbres qui vivent très longtemps
Mais ils sont peu nombreux à mes yeux
Tu dis qu’il n’y a pas lieu de se répéter
Pourtant toute richesse vient de là
Tu essaies de résister à la répétition
Tout en pensant que ce n’est pas possible
Paysage d’où naît le besoin et l’amour
Ton immobilité refait surface
Chacun y laisse son empreinte
Paysage couplé de hasards
Dernière clope du condamné à vivre.
LE PLUS TARD EST LE MIEUX
Mort de la raison perdue
L’avoir entendu dire
D’un arbre piqué de vers
Jeune lauréat qu’on déteste
Ces détails aux fruits verts
Coupures sous la fontaine
Vilaines gens de passage
Beaux rivages en lavande
Fatigue et bords ronds
Cubes tenaces aux poitrines
Minimisent la trahison
Aux soins de l’eau vive.
Vers quel horizon étrange et infini glisse le destin de ce fougueux surfeur
La vitesse vertigineuse de sa planche sur l'onde se mesure en noeuds à l'heure
Magnifique sensation de liberté et qu'importe le risque d'une fatale chute
Puisqu'il file avec ce désir fou de ne jamais revenir, telle une comète qui erre dans l'espace sans but
Le paysage qu'il traverse n'est autre que la mer, sa voile et le ciel qui le tirent vers le soleil
Il oublie juste l'instant d'une petite éternité, qu'il est un homme, car il s'envole comme l'oiseau
Qui quitte avec courage son nid douillet et s'enivre de monter toujours plus haut
Pour atteindre ce que quelques rares initiés nomment: le bonheur à nul autr…